Communion Beati mundo corde

En la solennité de la Toussaint, l’Eglise offre l’antienne Beati mundo corde  à la méditation des fidèles au cours de la procession de Communion :

Beati mundo corde, quoniam ipsi Deum vidébunt : beati pacifici, quoniam filii Dei vocabuntur :beati qui persecutionem patiuntur propter justitiam, quoniam ipsorum est regnum caelorum.

« Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu ; Heureux les pacifiques, car ils seront appelés fils de Dieu ; Heureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, car le royaume des cieux est à eux ».

Avant d’aborder l’aspect spirituel et musical de cette pièce, rappelons l’origine de cette fête. Dés le IVe siècle, l’Eglise d’Orient ouvre la voie en instituant une fête pour tous les martyrs de la terre le 13 mai. « De son côté, Saint Jean Chrysostome, dans une de ses homélies, indique que la fête se célébrait le dimanche suivant la Pentecôte, usage qui s’est d’ailleurs poursuivi dans l’Eglise Byzantine »1. « La solennité de la Toussaint s’affirme au cours du premier millénaire chrétien comme une célébration collective des martyrs. En 609, à Rome, le Pape Boniface IV a déjà consacré le Panthéon, le dédiant à la Vierge Marie et à tous les martyrs »2. Par la suite, l’Eglise d’Occident étend cette fête aux confesseurs de la foi, aux ascètes, aux vierges, puis enfin aux Evêques en conservant la date du 13 mai, date anniversaire de la dédicace de l’Eglise du Panthéon. Alcuin, précepteur de Charlemagne et nommé abbé de l’abbaye Saint Martin de Tours en 796 joue un rôle important dans la diffusion de cette fête. C’est à cette époque que la solennité est transférée du 13 mai au 1er novembre et qu’elle se trouve étendue à l’ensemble des fidèles saints du ciel, tous les saints canonisés par l’Eglise, mais aussi tous ceux dont la sainteté est ignorée comme le rappelle Saint Jean dans le livre de l’Apocalypse : « Après cela, je vis ; et voici une foule nombreuse que nul ne pouvait compter, de toute nation, et tribus, et peuples et langues, debout devant le trône et devant l’Agneau, vêtus de robes blanches, avec des palmes dans leurs mains » (Ap 7, 9). En ce jour, l’Eglise nous invite à mettre nos pas dans ceux de nos prédécesseurs, à suivre leur exemple en nous laissant configurer au Christ ressuscité.

L’antienne de Communion « Beati mundo corde » reprend un passage de l’évangile de la Toussaint, encore appelé le « Sermon sur la montage » ou « les Béatitudes », tiré de l’évangile selon Saint Matthieu : « Voyant les foules, [Jésus] monta dans la montagne, et quand il fut assis, ses disciples s’avancèrent vers lui. Et, ouvrant la bouche, il les enseignait » (Mt 5, 1). La position assise du Christ correspond à celle du Maître qui enseigne. On la retrouve à plusieurs reprises dans la Bible et sur de nombreux tableaux ou sculptures. Le verset 2 remarquant l’attitude du Christ « ouvrant la bouche » laisse attendre une déclaration forte, importante. Le Christ prend la suite de Moïse, monté sur le mont Sinaï pour recevoir les tables de la Loi de Dieu lui-même. « Ne croyez pas que je sois venu renverser la Loi ou les Prophètes ; je ne suis pas venu renverser, mais compléter. Car, en vérité je vous le dis, avant que ne passent le ciel et la terre, pas un iota ou un seul menu trait ne passera de la Loi que tout ne soit arrivé » (Mt 5, 17, 18). « En Lui, c’est la même Parole de Dieu qui avait retenti au Sinaï pour donner à Moïse la Loi écrite et qui se fait entendre de nouveau sur la Montagne des Béatitudes. Elle n’abolit pas la Loi mais l’accomplit en fournissant de manière divine son interprétation ultime »3. Dieu nous parle directement, Il est là, tout près de nous. « Quelle que fût cette ‘montagne des Béatitudes’, elle a porté d’une façon ou d’une autre la marque de cette paix et de cette beauté. Le tournant que représente l’expérience vécue sur le Sinaï par le prophète Elie, qui avait ressenti le passage de Dieu, non pas dans la tempête, ni dans le tremblement de terre, ni dans le feu, mais dans le murmure d’une brise légère, trouve ici son achèvement. Dieu révèle maintenant sa puissance dans la douceur, sa grandeur dans la simplicité et la proximité. »4

Puis le Christ proclame les Béatitudes. « Les Béatitudes sont au cœur de la prédication de Jésus. Leur annonce reprend les promesses faites au peuple élu depuis Abraham. Elle les accomplit en les ordonnant non plus à la seule jouissance d’une terre, mais au Royaume des cieux »5. Les Béatitudes répondent au désir naturel de bonheur que l’homme recherche, car Dieu lui en a insufflé le besoin afin de l’attirer à Lui librement. « Les béatitudes découvrent le but de l’existence humaine, la fin ultime des actes humains : Dieu nous appelle à sa propre béatitude. Cette vocation s’adresse à chacun personnellement, mais aussi à l’ensemble de l’Eglise, peuple nouveau de ceux qui ont accueilli la promesse et en vivent dans la foi »6.

Dans son livre « Jésus de Nazareth », Benoît XVI consacre un chapitre sur ‘le Sermon sur la montagne’. « Les Béatitudes sont des promesses dans lesquelles resplendit la nouvelle image du monde et de l’homme qu’inaugure Jésus, le ‘renversement des valeurs’. Ce sont des promesses eschatologiques ; mais cette expression ne doit pas être entendue au sens où la joie qu’elles annoncent serait renvoyée dans un avenir infiniment lointain ou exclusivement dans l’au-delà. […] Par Jésus, la joie vient dans les tribulations. Les paradoxes que Jésus présente dans les Béatitudes expriment la vraie situation du croyant dans le monde, une situation que Paul à décrite à maintes reprises à la lumière de son expérience de vie et de souffrance d’apôtre. »7 Les situations décrites dans les Béatitudes sont vécues par de nombreux chrétiens dans leur vie quotidienne sur toute la terre. Et pourtant, il s’agit à chacun de faire sien cet enseignement du Christ, car comme le dit Saint Paul : « Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi » (Ga 2, 20).

Benoît XVI voit dans ces Béatitudes l’image même du Christ. « En lisant attentivement le texte, on se rend compte que les Béatitudes constituent de manière voilée une biographie intérieure de Jésus, un portrait de sa personne. [Jésus] est le vrai pauvre, véritablement doux ; il est le véritable cœur pur qui de ce fait contemple Dieu en permanence. Il est l’artisan de paix, il est celui qui souffre par amour de Dieu. »8 Au-delà, il faut aussi y voir la voie que doit suivre l’Eglise du Christ et ses membres. L’Eglise doit reconnaître dans le Christ son modèle. Notre Saint Père Benoît XVI, Vicaire du Christ sur terre, par l’offrande de sa vie, met en pratique les Béatitudes. Ce ne sont pas de simples paroles, mais une vie donnée à l’exemple de la Très Sainte Vierge Marie par son Fiat de chaque instant.

Après ces quelques lignes, il nous faut aborder l’aspect musical. Le compositeur a choisi de mettre en musique les trois dernières Béatitudes pour conclure cette messe. Aucune de ces Béatitudes ne touche directement la Communion. Cependant, c’est avec la grâce reçue par ce sacrement que les fidèles pourront vivre ces Béatitudes chaque jour, celles-ci les disposant à leur tour à une réception fructueuse du sacrement. C’est par la conversion quotidienne sous l’action directe de la grâce de l’Eucharistie, que pourront grandir ces Béatitudes dans le cœur des chrétiens.

Quatre phrases musicales composent cette pièce alternant les passages en premier mode et en sixième mode, la corde ‘la’, dominante communes à ces deux modes, jouant le rôle de note charnière.

L’intonation « Beati mundo corde », très aérienne, lance la pièce avec simplicité, qualité des cœurs purs. L’attaque directe de la pièce sur la dominante ‘la’ à l’aigu donne un style très léger, renforcé par une mélodie quasi syllabique, un faible ambitus mélodique et la simplicité des neumes utilisés : punctum carré, podatus et clivis. L’accent au levé de ‘Beáti’ sera particulièrement soigné dans ce passage syllabique, ainsi que les deux podatus ornant les accents de ‘múndo’ et de ‘córde’. Dés cette intonation, il se dégage une atmosphère de joie paisible, de bonté et de louange, partage de ceux qui verront Dieu. Ainsi, nous sommes tous appelés à chanter avec St Paul : « Nous sommes les serviteurs de votre joie » (II Corinthiens I, 23). Puis, la Béatitude se développe musicalement vers le grave avec des neumes plus ornés et plus riches. La mélodie part de la dominante pour se conclure sur la corde ‘ré’ grave, finale du premier mode, avec une cadence assez solennelle et profonde. Cette gravité, caractéristique du premier mode, illustre l’attitude de la créature face à son Créateur : le respect ; gravité qui n’exclut nullement la joie chrétienne. La vision de Dieu doit être accompagnée d’une gracieuse et profonde révérence, emprunte d’une gaité de cœur, « joie d’être dans les mains de Dieu »9. L’attaque du mot ‘Déum’ est ferme, sans dureté et le sommet du mélisme sur l’accent de ‘vidébunt’ est très expressif. Le motif du dernier mot de cette première phrase se retrouve à la fin des trois autres phrases. Cependant, il faut noter que dans les première et quatrième phrases, ce motif est construit sur la tierce mineure ‘ré-mi-fa’. Alors que dans les deuxième et troisième phrases, c’est une tierce majeure ‘fa-sol-la’ qui vient conclure la mélodie, modulant ainsi en sixième mode, joie des élus plus brillante que ne peut traduire le premier mode. La nuance d’expression concernant le sommet mélodique de la syllabe accentuée est à retenir sur l’ensemble de ces formules, nuance du chœur traduisant une nuance du cœur tourné vers la plénitude de la vision béatifique.

La deuxième phrase musicale part au grave, sur ré. Par une montée mélodique progressive, accompagnée d’un léger crescendo, la mélodie grégorienne prend son envol. Un premier palier mélodique est atteint sur ‘pacifici’, mis en relief par une légère ornementation musicale. Puis, la Béatitude se poursuit sur le même degré mélodique. La liaison entre la vertu et la béatitude qui en est la récompense étant toujours assurée par la même conjonction ‘quoniam’. Après un début de phrase plutôt orné, le passage sur ‘fílii Déi’ est complètement dépouillé : passage exclusivement syllabique, une syllabe, une note, simplement introduit par un podatus. Quel contraste, quel abandon ! Le sommet mélodique de cette deuxième phrase se trouve sur l’accent au levé de ‘Déi’, à chanter bien sûr avec beaucoup de souplesse, de rondeur, en planant. Comment ne pas penser à tous les saints ou bienheureux de l’Eglise, spécialement ceux dont le message nous touche tout particulièrement. Tous les pacifiques de l’Eglise ont œuvré sur terre pour la plus grande gloire de Dieu. Cette joie chrétienne, n’est que le reflet de la joie de Dieu : « Conservons dans notre cœur la joie d’aimer Jésus et partageons-la avec tous ceux que nous côtoyons. Le rayonnement de la joie est quelque chose de très authentique puisqu’il vient du Christ qui est en nous et qui nous rend heureux. Sourions donc à ceux que nous rencontrons. Le Christ est dans le sourire que nous offrons et dans le sourire que nous recevons »10. Comme indiqué précédemment, c’est dans le sixième mode que s’exprime la joie de cette deuxième Béatitude. La joie est plus éclatante, plus brillante que dans la phrase précédente. Le compositeur a su progressivement passer du premier mode au sixième par l’intermédiaire de la dominante commune à ces deux modes ‘la’. Cette phrase s’achève sur un mélisme dans une tonalité majeure : l’imitation du Christ, Fils de Dieu, donne la plénitude de la joie de Dieu. Elle permet de goûter à l’allégresse divine dans une jubilation intérieure, empreinte d’une satisfaction débordante de l’amour de Dieu. Ce n’est qu’en Jésus que se trouve la véritable joie et tous les fidèles, appelés à la sainteté un jour doivent suivre le Christ : « Chers amis, Jésus est votre véritable ami et Seigneur, instaurez une relation de véritable amitié avec Lui ! Il vous attend et ce n’est qu’en Lui que vous trouverez le bonheur. Comme il est facile de se contenter des plaisirs superflus que nous offre l’existence quotidienne ; comme il est facile de ne vivre que pour soi, en profitant en apparence de la vie ! Mais tôt ou tard, on se rend compte qu’il ne s’agit pas du véritable bonheur, car celui-ci se trouve bien plus en profondeur : nous ne le trouvons qu’enJésus. Comme je l’ai dit à Cologne, ‘le bonheur que vous cherchez, le bonheur auquel vous avez droit de goûter, a un nom : Jésus de Nazareth’ »11.

Arrive la dernière Béatitude, séparée en deux phrases musicales. C’est l’explosion de joie, une exultation pleine, gracieuse. En un mot, tout est pratiquement dit et imprimé dans le cœur de l’homme : ‘Beati’. La mélodie s’enflamme avec légèreté vers le sommet mélodique de la pièce. Après un enchainement majeur ‘fa-la-do’, la mélodie s’envole jusqu’au ‘mi’. Le cortège des saints a repris en chœur ce qui pourrait être un cri de victoire sur la mort ‘Beati’. Chantons avec jubilation ce début de phrase à l’image de la danse des élus du tableau de Fra Angelico, car c’est cette joie qui apporte la lumière divine au cœur de la persécution. Il ne faut pas oublier la suite paradoxale de cette dernière Béatitude. Comment pourraient-ils être heureux ceux qui se trouve en butte à la persécution ? Là aussi, il y a un grand contraste traduit par une opposition musicale. Le début de la phrase est orné, à l’aigu en montée mélodique, la suite du passage est syllabique en descente mélodique. Il ne faut pas oublier que tous les saints ont souffert, de diverses manières à l’image du Christ, Fils de Dieu fait homme, venu pour sauver les hommes. Les Béatitudes s’appliquent en premier lieu à Notre Seigneur dans sa vie terrestre et surtout dans sa Passion. Après ce passage un peu heurté et dur, la mélodie apaisée retrouve la formule conclusive sur ‘justítiam’.

La dernière phrase se fait l’écho de la première : la mélodie part de la dominante ‘la’ pour venir progressivement s’éteindre très posément sur le ‘ré’ final en premier mode. Ce passage retrouve la légèreté et l’allégresse du début de la pièce. Les persécutés de l’Eglise, si nombreux, ont atteint la plénitude de la vie : le royaume de Dieu qu’ils possèdent déjà. « Ce n’est pas le fait d’esquiver la souffrance, de fuir devant la douleur, qui guérit l’homme, mais la capacité d’accepter les tribulations et de mûrir par elles, d’y trouver un sens par l’union au Christ, qui a souffert avec un amour infini. »12. Benoît XVI poursuit en citant une lettre du martyr vietnamien Paul Le-Bao-Tinh : « Par la grâce de Dieu, au milieu de ces supplices qui ont coutume d’attrister les autres, je suis rempli de gaieté et de joie, parce que je ne suis pas seul, mais le Christ est avec moi. »

Croyons que l’accomplissement des béatitudes promises à tous ceux qui œuvrent sur le chemin de la sainteté n’est pas réservé au temps de l’éternité. Bienheureux les cœurs purs, ils voient Dieu.

Confions notre vie à Notre Dame, étoile de l’espérance, Reine de tous les saints et modèle de sainteté. Qu’elle nous conduise sur le chemin sûr qu’elle a parcouru.

Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort. Amen.

1 Robert Péry – Jours de Fêtes Histoire des Célébrations Chrétiennes – page 177

2 Benoît XVI – Angelus de la Toussaint 2008

3 Catéchisme de l’Eglise Catholique n° 581

4 Benoît XVI – Jésus de Nazareth page 88

5 Catéchisme de l’Eglise Catholique n° 1716

6 Catéchisme de l’Eglise Catholique n° 1719

7 Benoît XVI – Jésus de Nazareth page 92 – 93

8 Benoît XVI – Jésus de Nazareth page 95

9 T. R. M. Lucie Schmitt – Commentaire de la Règle

10 Bien heureuse Mère Teresa de Calcutta– Le Rosaire, textes de Mère Teresa

11 Benoît XVI – Message aux jeunes de Hollande, 21 novembre 2005

12 Benoît XVI – Lettre Encyclique Spe Salvi n° 37